Les testaments du Frère Gabriel
Introduction
Il convient de spécifier que, en plus du Testament Spirituel, le Fr. Gabriel a fait deux autres testaments pour disposer des biens qui légalement lui appartenaient à titre personnel puisque de son vivant, la Congrégation qu’il avait fondée n’était pas civilement reconnue en France et par conséquent dans l’incapacitée de posséder des biens.
– Testament du 12-10-1836
Le texte, conservé aux ASFB, est très bref et il est écrit sur une seule feuille avec une calligraphie parfaite. Il a été publié avec les Constitutions et les règlements des Frères de la Sainte Famille de 1836. Pour comprendre sa portée, il faut le mettre dans le contexte des principaux événements de la vie du Fr. Gabriel dans la période de Belmont : acquisition de la maison, premières professions, acceptation du supériorat à vie, etc. ;
Le contenu du testament a une grande cohérence tant du point de vue purement civil que du point de vue de la pauvreté religieuse et du sens d’Eglise de Fr. Gabriel. Par ce testament, il lègue ses biens à l’Institut, et si celui-ci ne peut pas les recevoir n’étant pas reconnu civilement, il les laisse à l’évêque de Belley. Il faut remarquer aussi la préoccupation du Fr. Gabriel pour sa famille. D’une part, au moyen du testament, il évite que ses biens passent, en cas de décès, à ses héritiers naturels, mais d’autre part, par une clause finale, il assigne une pension à sa mère. Voir ce texte après le Testament Spirituel
– Testament devant notaire du 21-11-1864.
C’est un testament avec validité civile, fait devant notaire par le Fr. Gabriel quelques jours avant sa mort et dans une situation d’une telle faiblesse physique qu’il n’a même pas pu le signer. Ce testament a été enregistré à Belley le 24/11/1864 par le notaire François Marie Ecochard.
Ce testament est rédigé par le notaire de manière professionnelle et dans les termes juridiques qui correspondent. Par ce testament le Fr. Gabriel laisse une pension à son frère Joseph Taborin, qui vivait à Oyonnax, et lègue la totalité des biens, qu’il possédait personnellement, l’Institut n’ayant pas été encore reconnu officiellement, conjointement au vicaire général du diocèse, P. Jean Claude Buyat, et au Fr. Amédée Depernex, Vice-supérieur. Il annule aussi les dispositions testamentaires précédentes.
L ‘exclusion de Mgr. de Langalerie a pu être interprétée comme signe des difficultés dans les relations avec l’évêque de Belley.
Dans le texte du testament, à part son contenu juridique, il y a quelques détails très intéressants sur la situation du patient et de la chambre où on a fait l’acte testamentaire, qui complètent les données apportées par les Ephémérides de la Maison Mère et autres documents.
Il faut remarquer en outre que les allusions à ce testament civil qui figuraient dans le manuscrit du Testament spirituel, ont été soigneusement éliminées par le Fr. Amédée dans l’édition imprimée qu’il a fait connaître aux Frères après la mort de Fr. Gabriel.
Le Testament spirituel
Le Fr. Amédée dit du Testament spirituel de Fr. Gabriel que “c’est une expression magnifique de sa charité ardente envers nous et de la foi vive qui l’a animé pendant toute sa vie” (Circulaire du 26-11-1864).
Le manuscrit original comprend 8 pages. Il est signé par le Fr. Gabriel Taborin à Belley en date du 25 août 1864. Une difficulté existe pour mettre en rapport la date et le lieu, puisque selon les Ephémérides de la Maison Mère, Fr. Gabriel le 25 août devait se trouver à Lyon.
Le Fr. Amédée a fait connaître le Testament spirituel aux Frères le publiant après sa Circulaire du 26-11-1864 par laquelle il communiquait le décès du Fr. Gabriel et traçait un résumé de sa vie. Mais en le publiant, il a omis quelques détails du manuscrit, en particulier ceux qui se référaient au possible successeur.
Nature et but du document
Le Fr. Gabriel spécifie qu’il s’agit d’un testament “spirituel”, pour le différencier de la disposition de biens. Dès ses premières lignes, on sent le ton que l’auteur adopte. Le lecteur perçoit qu’il se trouve devant un document de haute densité spirituelle:
Le Fr. Gabriel exprime dans ces pages ses convictions les plus profondes, offre son expérience de vie, déclare les dispositions finales dans lesquelles il se trouve et souhaite transmettre à ses fils spirituels le plus précieux de son héritage.
Dans l’introduction, il indique quel est le but qu’il se propose : “J’ai fait, pour la plus grande gloire de Dieu, le présent testament spirituel, afin de faire connaître les grâces dont le Seigneur a daigné me combler, et quelles sont mes dispositions à l’égard de la Religion et de ma très chère Association”. Il souhaite, donc, entonner son dernier “Magnificat”, mais, sans abandonner sa condition de Père et Supérieur de l’Institut qu’il a fondé, il veut aussi, comme l’indique le sous-titre du Testament, donner “les derniers avis à sa Communauté”.
Structure et contenu
Le testament spirituel du Fr. Gabriel comprend :
– Une introduction, dans laquelle nous trouvons l’invocation solennelle à la Sainte Trinité, à la Sainte Famille et aux saints patrons. L’auteur exprime également le but du testament, se présente comme Fondateur et premier Supérieur Général de l’Institut et manifeste les dispositions dans lesquelles il se trouve vers la fin de ses jours.
– Trois parties de même longueur.
Dans la première, prévaut le sentiment de remerciement : action de grâces à Dieu pour la vocation et la mission confiées et remerciement à ceux qui l’ont précédé (ses parents, les Frères et tous ceux qui l’ont aidé). Il déclare sa constante rectitude d’intention et conclut par une demande pardon.
La deuxième, s’ouvre avec la proclamation de l’adhésion à l’Église et à la foi chrétienne, pour laquelle il se dit avoir été prêt pour arriver même au martyre. Comme les textes de la liturgie le disent de Saint Martin, le Fr. Gabriel fait en même temps l’offrande de sa vie et manifeste sa disponibilité pour continuer à travailler. Il y a une nouvelle demande de pardon, mais il exprime surtout, comme sainte Thérèse de Lisieux, le désir de passer son ciel à faire du bien sur la terre, intercédant incessamment pour tous, spécialement pour son Institut.
Dans la troisième, il s’adresse plus directement aux Frères : il les présente à Dieu et à la Vierge Marie et il leur confie la Règle de vie qu’il a tracée pour eux, avec la recommandation de la pratiquer. Après une brève incise sur la manière de faire pour élire son successeur, il donne ses “derniers avis” qui se centrent sur l’amour réciproque et sur la pratique des consignes qu’il avait toujours donné et qu’on a appelées devises de la Congrégation (« grâce, humilité, prière »; « Dieu, Règle, Supérieur », Cf. Nouveau Guide art. 22-29).
La conclusion de la troisième partie, et de tout le Testament, est faite sous forme de prière. C’est celle qu’on a appelée « prière pour l’Institut ». Pour comprendre la signification et la profondeur de cette expérience de prière pour le Fr. Gabriel, il faut consulter le Nouveau Guide, où dans l’art. 531, après avoir dit qu’elle doit être estimée par tout bon Frère de la Sainte-Famille, il révèle son origine : “Elle fut inspirée pendant la messe, au moment de l’élévation, à un des premiers Supérieurs de la Société, au commencement de sa formation “.
Les textes
Manuscrits ASBF :
1 – Testament de 1836, ASFB 144.
2 – Testament spirituel, ASFB 145
3 – Testament devant notaire, ASFB 146
1. TESTAMENT de 1836
Je soussigné, frère Gabriel Taborin, doyen des Frères de la Sainte Famille, établis à Belmont, canton de Virieu-le-Grand, arrondissement et diocèse de Belley, département de l’Ain: Voulant procurer la gloire de Dieu et le salut des âmes, je donne à cette fin, avec plaisir et d’une manière irrévocable, à la Congrégation des dits Frères de la Sainte Famille, tous les objets désignés ci-après:
1° La maison que j’habite à Belmont et où se trouve le Noviciat des dits Frères. 2° Tout l’immeuble attenant à la maison désignée, le tout situé au dit Belmont, tel que je l’ai acquis par l’acte contrôlé à Belley le 18 février 1833. 3° Je donne aussi tout le mobilier que j’ai dans la dite maison, le tout aux clauses et conditions suivantes, savoir:
1° Je me réserve, pendant mon vivant, la jouissance des trois objets donnés et désignés. 2° La Congrégation de la Sainte Famille ne pourra jouir de la présente donation qu’autant qu’elle sera légalement autorisée par le Roi pendant mon vivant. 3° Si la Congrégation désignée n’était point autorisée à ma mort et qu’elle ne pût recevoir la donation que je lui fais aujourd’hui, je veux et j’entends que Mgr. l’Evêque de Belley, qui connaît mes intentions pour le bien, et qui les remplira sans doute, jouisse personnellement de la présente donation, seulement après ma mort, et dans le cas que la dite Congrégation ne pût accepter les objets désignés. 4° Si ma mère me survivait, la Congrégation désignée ou Mgr. l’Evêque de Belley, si c’est lui qui jouit de la présente donation, serait tenu de donner annuellement à ma mère, pendant son vivant, la somme de soixante-dix francs.
Frère Gabriel Taborin
A Belmont, le 12 Octobre 1836.
TESTAMENT SPIRITUEL DE GABRIEL TABORIN
SUPÉRIEUR GÉNÉRAL ET FONDATEUR DE LA PIEUSE ASSOCIATION
DES FRÈRES DE LA SAINTE FAMILLE
et ses derniers avis à sa Communauté.
Au nom de la Très-Sainte Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, un seul Dieu en trois personnes.
Je soussigné, Gabriel Taborin, fondateur et premier Supérieur Général de la pieuse Association des Frères de la Sainte-Famille, dont le siège est à Belley, incertain de l’heure de ma mort, considérant cependant qu’il me reste peu de temps à vivre et que le jour de l’éternité approche, il est de mon devoir de disposer d’avance, pendant que je suis encore en santé, des bien qu’il a plu à la Providence de me confier, afin de ne laisser aucun embarras à ce sujet après que j’aurai terminé ma carrière et fait mes derniers adieux aux choses de ce monde.
Par ces motifs, humblement prosterné aux pieds de la souveraine majesté de Dieu, créateur et conservateur de toutes choses, souverain juge des vivants et des morts, et après avoir invoqué avec de grands sentiments de foi et de confiance l’assistance du Saint-Esprit, de la Sainte-Famille, Jésus, Marie et Joseph, et celle de mon saint Ange gardien et de mon saint Patron, j’ai fait mon testament civil.
Outre mon testament civil qui trace mes dispositions pour les choses temporelles, j’ai fait, pour la plus grande gloire de Dieu, le présent testament spirituel, afin de faire connaître les grâces dont le Seigneur a daigné me combler, et quelles sont mes dispositions à l’égard de la Religion et de ma très chère Association; et j’ai divisé ce testament en trois paragraphes.
§ Ier. J’atteste, avec de grands sentiments de reconnaissance envers la bonté divine, que j’ai eu le bonheur d’appartenir à des parents chrétiens, qui m’ont élevé dans des principes religieux. Je les en remercie de tout mon coeur, et prie Dieu de les en récompenser dans le ciel, où j’ai la douce et consolante pensée qu’ils sont placés, et où j’espère les aller rejoindre, ainsi que nos bons Frères de la Sainte-Famille qui m’ont précédé dans la tombe et au jugement de Dieu.
Je déclare que, dès ma plus tendre jeunesse, je sentais des inclinations toutes particulières pour la vie religieuse; je n’aspirais qu’après le moment où je pourrais avoir le bonheur de me consacrer à Dieu dans ce saint état. Devenant religieux, je devais certainement être le dernier de tous dans une communauté, vu mon indignité, mon peu de talent et de science; je ne me serais jamais imaginé que la Providence, en laquelle j’ai toujours eu la plus grande confiance, et qui m’a toujours assisté d’une manière visible, aurait choisi un si faible instrument pour former une Congrégation religieuse que le Souverain Pontife a daigné approuver, et pour l’amener, avec l’aide de Dieu, au point où elle est aujourd’hui. J’en rapporte toute la gloire à ce Dieu de bonté, et je le remercie très humblement d’avoir bien voulu me confier une telle mission. Il est vrai qu’il m’avait donné un aide puissant dans l’illustre et vénérable Evêque de Belley, Mgr Devie, de glorieuse et sainte mémoire, notre digne père en Dieu, et dont les sages conseils furent toujours pour moi comme des oracles.
Je déclare aussi que, depuis ma plus tendre jeunesse jusqu’à ce jour, le Seigneur a daigné me combler de grâces innombrables. Hélas! je n’y ai peut-être pas toujours assez correspondu; je m’en humilie profondément devant lui, et lui en demande bien pardon, le priant d’avoir plutôt égard à ma faiblesse qu’à ma malice. S’il m’est donné de vivre encore quelque temps après avoir tracé cet écrit, je le supplie de vouloir bien me continuer jusqu’à mon dernier soupir les grâces dont il n’a cessé de me combler, tant dans l’ordre spirituel que dans l’ordre temporel; je lui promets du fond de mon coeur de m’en rendre moins indigne que je ne l’ai fait jusqu’à présent: telle est ma plus grande et plus sincère résolution.
Je remercie bien tous ceux dont je suis devenu le père et le Supérieur en religion, de la patience et de l’indulgence qu’ils ont eues de supporter mes défauts, et de me garder si longtemps pour leur chef. Je leur demande, ainsi qu’à tous ceux qui m’ont connu et avec qui j’ai vécu, qu’ils veuillent bien excuser les manquements qu’ils auront pu remarquer en moi.
Je crois avoir toujours eu des intentions droites et pures dans me entreprises et dans ma conduite; mais s’il y avait eu quelque chose de défectueux aux yeux de Dieu sur ce point, je le prie de me pardonner.
§ II. Je désire mourir dans la Religion catholique, apostolique et romaine, à laquelle j’ai toujours été profondément attaché, ainsi qu’au Souverain Pontife. Toute ma vie j’ai profondément révéré tout ce qu’elle enseigne.
Je confesse à la face du ciel et de la terre que je n’ai jamais eu de doute contraire à la foi. J’ai constamment aimé du fond de mon coeur notre sainte Religion, et j’aurais versé mon sang pour elle si quelque circonstance m’y avait obligé. J’ai toujours remarqué que sans elle l’homme ne peut être heureux ni en cette vie ni en l’autre, et que, hors de son sein, il n’y a point de salut.
Je fais de bon coeur le sacrifice de ma vie par amour pour Dieu et en expiation de mes péchés. je quitterai la terre sans regret, parce qu’elle est couverte de misères et de péchés, et qu’elle est un exil qui nous sépare de notre véritable patrie. J’engage aussi nos bons Frères à s’en détacher, et à n’aspirer que vers la sainte Sion, demeure des Elus.
Je vois que je deviens un serviteur inutile; mais si Dieu, dont les décrets sont impénétrables, veut encore m’occuper quelque temps ici-bas, je lui dirai avec saint Paul: Seigneur, je ne refuse point le travail. Ah! puisse-je n’avoir jamais travaillé que pour sa gloire et pour mon salut! C’est bien là la fin pour laquelle j’ai été appelé à la vie religieuse.
Lorsqu’il plaira à Dieu de me retirer de ce monde, je le prie très instamment, par les mérites de son Fils adorable et par ceux de la très sainte Vierge, d’oublier les péchés que la fragilité humaine aurait pu me faire commettre. Je le prie de recevoir mon âme dans le sein de sa miséricorde, après avoir été fortifié par les derniers sacrements de l’Eglise, que je désire recevoir avant d’être à l’extrémité, afin qu’ils produisent en moi les grâces abondantes qui y sont attachées quand on les reçoit avec de saintes dispositions.
Je demande aussi très humblement pardon à toute ma Communauté, ainsi qu’à ceux qui j’aurais pu offenser ou scandaliser en quelque manière. Je pardonne moi-même de bon coeur à tous ceux qui m’ont offensé et à ceux qui ont pu me faire quelque tort. Je remets mon âme et mon salut entre les mains de Dieu, mon créateur et ma dernière fin.
Quant à ma dépouille mortelle, je désire qu’on la confie à la terre avec les cérémonies de l’Eglise, et en observant les règles et usages tracés dans l’Association de la Sainte-Famille pour la sépulture de ses membres.
Je désire qu’aussitôt après mon décès, le très honoré Vice supérieur de l’Association donne, de concert avec le Conseil de la Maison-Mère, connaissance de ma mort à tous mes bien-aimés Frères de la Sainte-Famille, ainsi que du présent testament, et qu’il leur ordonne des prières pour le repos de mon âme, comme il est prescrit au chapitre vingt-sixième de notre sainte Règle.
Si Dieu me fait la grâce d’aller au ciel, je n’oublierai pas, dans le repos de la gloire éternelle, la chère Communauté de la Sainte-Famille, ni ceux qui en ont été ses protecteurs et ses bienfaiteurs. Je n’oublierai pas non plus mes chers parents et mes amis; je prierai aussi pour mes confesseurs et pour ceux qui ont été mes Supérieurs sur la terre; enfin je prierai pour la France, ma chère patrie, et pour le pays qui m’a vu naître. Telles sont mes intentions; je demande à Dieu la grâce de pouvoir les exécuter dans le séjour des Bienheureux; puissent mes oeuvres me mériter ce bonheur; je l’attends aussi de la protection de la très sainte Vierge, en qui j’ai toujours eu une très grande confiance et une dévotion toute particulière. Je la prie bien de m’assister quand la mort fermera mes yeux.
§ III. Je donne à Dieu et je consacre à la très sainte Vierge les Frères de la Sainte-Famille, dont le Seigneur a bien voulu me faire le père et le Supérieur.
Je leur lègue, à ces dignes enfants, qui me sont tous si chers, le Guide dit des Frères de la Sainte-Famille, qui renferme les Règles que Dieu m’a inspiré de leur tracer. Je leur recommande de les observer avec une grande fidélité, parce que c’est en elles qu’ils trouveront la vie et le bonheur. Ah! s’ils s’en déviaient, ils perdraient bien vite l’esprit de leur état, et ils s’exposeraient à perdre aussi leur sainte vocation; et alors, loin de faire le bien qu’on a lieu d’attendre d’eux, ils ne feraient, hélas! que le mal, et se perdraient, en offensant le Dieu de bonté qui les a comblés, comme moi, de tant de grâces, surtout en les séparant du monde, où il y a tant d’écueils pour le salut.
Dès que Dieu m’aura retiré de ce monde, et aura montré, par ma mort, que les rênes de la Congrégation doivent être confiées à une autre main, les membres du Chapitre devront s’empresser de choisir un autre Supérieur, qui soit selon le coeur de Dieu, qui puisse achever et perfectionner ce que j’ai commencé avec tant de peines et de combats sans pourtant, grâces à Dieu, m’être jamais découragé. Je leur recommande de respecter leur nouveau Supérieur, et de le regarder comme leur père et leur meilleur ami.
Pour ne gêner le vote de personne et ne pas contrevenir à la Règle, je ne nomme point moi-même mon successeur; mais j’invite les Frères de l’Association qui sont appelés, par leur rang, à l’élire, à ne rien faire à cet égard sans consulter Dieu, par la prière, et Mgr l’Evêque de Belley. Ils devront naturellement choisir leur nouveau Supérieur parmi les dignes et respectables Frères qui ont administré avec moi pendant longtemps, qui sont rompu dans les affaires de gouvernement de l’Association, et qui m’ont toujours inspiré une très grande confiance.
Je prie le Seigneur que mon successeur répare mes manquements; qu’il fasse ce que je n’ai pu ou su faire pour le bien; qu’il maintienne nos Règles intactes et les fasse observer; qu’il soit pour tous un bon père, un homme de foi, et qu’il rappelle souvent le repos de mon âme aux prières de notre chère Communauté.
Je recommande à tous nos Frères, par l’amour et par l’intérêt que je n’ai cessé de leur porter à tous, de s’entre-aimer toute leur vie et de s’édifier les uns les autres. Combien je désire, ainsi que je l’ai exprimé bien des fois, qu’ils se tiennent tous constamment dans l’humilité et dans l’état de grâce, qu’ils soient des hommes de prière, qu’ils aiment et chérissent par-dessus tout Dieu, leur Règle et leur Supérieur. Je leur recommande de chérir particulièrement la pureté, l’obéissance et la sainte pauvreté; d’être stables dans le bien et dans leur sainte vocation; d’être patients dans les peines de la vie, de les supporter avec résignation, à l’exemple de notre divin Sauveur. Je leur recommande aussi, comme un grand moyen de sanctification, de penser souvent aux fins dernières, de haïr le péché et de le faire haïr. Je les exhorte à aimer les enfants en Dieu et pour Dieu, à les instruire avec un saint zèle, mais avant tout à les former dans les principes de notre belle et sainte Religion, à leur faire aimer la vertu et à leur en donner constamment l’exemple.
Je leur recommande encore d’avoir le plus grand respect pour les Oints du Seigneurs, et pour tous ceux qui seront chargés de leur conduite.
Enfin, je leur recommande d’être les soutiens fidèles et constants de leur chère Congrégation, d’en remplir le but avec piété et zèle, de l’honorer par leur bonne conduite et de porter partout la bonne odeur de Jésus-Christ.
En terminant cet acte, qui est mon vrai testament spirituel, écrit de ma propre main, je prie bien humblement le Seigneur de l’avoir pour agréable, et de m’accorder la grâce insigne de mourir de la mort du juste, afin que, lorsque mon âme sera sortie de ce monde, elle vive en Dieu, et que toutes les offenses qu’elle a commises lui soient pardonnées, par les effets de son infinie miséricorde.
Je sais que, pour obtenir la grâce d’une sainte mort, il faut s’y préparer avec grand soin par une vie sainte, surtout par une vraie mort à nous-mêmes. C’est à quoi je vais m’appliquer tout le temps qui me reste à passer sur la terre, c’est-à-dire à mourir à mes sens, à mes passions, à mes inclinations mauvaises, et à tout ce qui pourrait me causer de la peine à la mort.
O Jésus! souverain Juge des vivants et des morts, vous serez alors en effet mon Juge; mais à présent vous êtes encore mon Sauveur et mon Père; ayez pitié de ma pauvre âme; je veux la sauver; oh! disposez-la donc, je vous en prie très humblement, à paraître un jour devant vous. Et vous, ô Vierge immaculée! divine Marie, mère de mon Dieu, protégez-moi surtout dans ces derniers moments qui doivent décider de mon sort éternel.
Seigneur tout-puissant, Dieu d’Israël, écoutez encore la prière que je vous adresse, et que je désire vous adresser éternellement pour la chère Congrégation que vous m’avez confiée et que je remets entre vos mains. Faites qu’elle soit votre oeuvre et non la mienne; protégez-la; prenez soin d’elle en tous temps et en tous lieux; ne l’abandonnez pas à la puissance des ennemis qu’elle pourrait avoir; pourvoyez sans cesse à ses besoins, et faites qu’elle procure votre gloire, sous votre main protectrice. Soyez favorable, ô mon Dieu, à tous les Frères et Novices de cette chère Société; répandez sur chacun d’eux vos grâces les plus abondantes; augmentez en eux la foi, l’espérance et la charité; donnez-leur une vive horreur du péché et un repentir sincère de ceux qu’ils ont commis, et dont je pourrais peut-être avoir été la cause par mes exemples ou par mon manque de vigilance; faites qu’ils aient le vice en horreur, qu’ils aiment leur vocation, qu’ils y soient fidèles, qu’ils s’y sanctifient et travaillent à sanctifier les autres; rendez-les tous contents et heureux en cette vie et en l’autre: telle est la prière, ô mon Dieu, que vous adresse, avec une vive ardeur, le plus pauvre des religieux, le plus indigne des Supérieurs; écoutez-la, Seigneur, du haut du trône de votre divine majesté, et bénissez ceux pour qui je vous l’adresse humblement, au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.
Belley, en notre Maison-Mère, le 25 août 1864
Frère GABRIEL,
Supérieur-Général des Frères de la Sainte-Famille
3. TESTAMENT DEVANT NOTAIRE
Par devant François-Marie Ecochard, notaire à la résidence de Belley (Ain) soussigné.
En la présence continuelle de MM. Claudius Charcot, ancien percepteur des contributions directes, Claude Antoine Gaspard Cerdon, avoué, Anthelme Alexis Césaire Nivière, propriétaire, Jean Marie Charlin, clerc d’avoué, tous demeurant à Belley, témoins, français, majeurs, jouissants de leurs droits civils, non parents des testateur et légataires ci-après nommés, ainsi par eux déclaré sur l’interpellation du notaire.
A comparu M. Gabriel Taborin, supérieur général et fondateur de l’ordre des Frères de la Sainte-Famille, demeurant à Belley
Lequel étant sain d’esprit, mémoire et entendement, quoiqu’en ce moment malade et alité, ainsi qu’il est apparu aux notaire et témoins, dans la vue de la mort, a, de son plein gré, fait son testament qu’il a dicté au notaire, en présence des témoins, ainsi qu’il suit:
Je donne et lègue à Joseph Taborin, mon frère, demeurant à Oyonnax une rente annuelle et viagère; incessible et insaisissable de deux cents francs qui lui sera payée par mes héritiers universels ci-après nommés, par semestres et d’avance; de telle sorte que le premier se mestre lui sera payé aussitôt après mon décès, pour être continué jusqu’à la mort de mon frère, de six mois en six mois.
Je nomme et institue pour mes héritiers généraux et universels, conjointement entr’eux M. Jean Claude Buyat; vicaire général du diocèse de Belley, et M. Charles Depernex; Vice-supérieur des Frères de la Sainte-Famille, tous deux demeurant à Belley; lesquels Messieurs Buyat et Depernex, conjointement entr’eux recueilleront l’intégralité de ma succession, en quoi qu’elle consistera et pourra consister sans aucune réserve ni exception; à la charge du legs qui précède et des autres obligations de droit.
Je casse et révoque tous testaments antérieurs.
Ce testament a été ainsi dicté par M. Gabriel Taborin testateur, à moi Ecochard notaire, qui l’ai écrit en entier de ma main, tel qu’il m’a été dicté, en ai ensuite donné lecture entière au testateur, lequel a déclaré le bien comprendre et y persévérer comme contenant l’expression de sa dernière volonté, et c’est le tout dicté, écrit et lu en la présence continuelle des quatre témoins sus-nommés.
Dont acte fait et passé à Belley, au domicile du testateur, rue du Chapitre, dans une chambre au premier étage, prenant jour au couchant, près du lit sur lequel le testateur repose malade, ce jourd’hui vingt-un novembre mil huit cent soixante-quatre, à onze heures et demie; le testateur interpellé de signer a déclaré, en présence des quatre témoins, savoir signer, mais ne pouvoir pas signer en ce moment, à cause de sa trop grande faiblesse, causée par la maladie dont il est atteint: les quatre témoins et le notaire ont signé, après nouvelle et entière lecture faite du présent testament, toujours en présence des quatre témoins.
Signé à la minute: C. Charcot, G. Cerdon, C. Nivière, Charlin et Ecochard notaire.
Enregistré à Belley le vingt-huit novembre 1864, folio 124, verso, case 4. Reçu cinq francs décime et demi septante-cinq centimes. (Signé: Bolley)
Expédition Collationnée.
Ecochard.